Mon travail de photographe consiste à me promener dans cette petite vallée où je vis et à contempler tout ce qui s’offre à mes yeux. C’est essentiel pour moi, nécessaire et suffisant, chaque regard que je porte sur les choses sert à l’équilibre du monde. Quand j’arrêterais, le monde sera mort.
En arpentant et photographiant l’espace où je pose mes pas, je déclare signifiant tout ce que je peux et veux sauver.
Dans la lignée de Marcel Duchamp, de Gabriel Orozco, il s’agit pour moi de rendre compte de ce qui fait apparition, de montrer quelques paysages intérieurs projetés sur l'écran du monde, ou le contraire…

Cette vallée diverticule semble presque oubliée, elle s'use de tant de temps passé, elle s'effiloche et de lourdes menaces pèsent sur elle, autoroute, TGV, ligne de fret, toutes choses pour des êtres pressés d'en finir. C'est peut-être en cela que j'y retrouve ma propre destinée. J'épie et caresse du regard les moindres frémissements de sa réalité, je montre une nature, l’intimité d’un paysage, sa peau, ses grains de beauté, ses cicatrices, ses laideurs, sa vie ordinaire et extraordinaire.
Dans mes images, cette neige qui fond, c’est l’écume des jours, le temps qui s'écoule ; l’appareil photo est un emporte-pièce, il découpe l’espace et le temps en une seule bouchée, en une respiration avide.
Chaque photographie est un reflet qui compacte et met les choses à plat, il y a tout dans ce miroir, des pans d’univers entiers, il y a moi, tout ce que j’ai vu, vécu, lu, et il y a vous aussi, celui qui regarde et se questionne, acquiesce ou refuse de (se) reconnaître.
L'art est le miroir de la belle au bois dormant, il ne nous trouve pas « la plus belle », tant pis, il propose d'autres réponses.

La beauté d'un tas de bois est celle de l'homme qui l'a coupé, rangé, protégé des intempéries, elle est dans l'espoir de sortir d'un hiver vivant, c'est comme un portrait un peu tragique et dépassé. Si j'y place parfois l'écho d'un langage esthétique traditionnel, c'est malgré moi, malaxé trop longtemps dans un pétrin culturel normatif. Les choses n'existent pas parce qu'elles sont belles, mais leur existence est un critère de la beauté du monde.
Dans ma campagne, les ensilages sont formés comme des mottes de beurre, le paysan pose des bâches de protection tendues et tirées comme des draps d'hôtel et par dessus sont disposées des armées de pneus. Des millions de pneus défendent ainsi d'étranges tumulus, ridicules offrandes aux dieux de je ne sais quelle abondance, c'est de la sculpture brute. Le pneu devient une icône…
Comme un enfant, je trouve vraiment très très incroyable qu'il tombe de la neige… Un bout de plastique est un fantôme errant qui me fascine, les arbres à terre me font mal, les tas, cornes d'abondance, me réjouissent, la terre luisante d'un labour m'émeut, c'est tout cela que j'installe et organise aussi dans mes photographies ; elles sont des ready-made, les témoignages d'une émotion et d'un acte de reconnaissance du monde.

Loïc Cauchy

« Le métier de poète, métier qui ne s'apprend pas, consiste à placer les objets du monde visible, devenus invisibles par la gomme de l'habitude, dans une position insolite qui frappe le regard de l'âme et leur donne de la tragédie. Il s'agira donc de compromettre la réalité, de la prendre en défaut, de l'inonder de lumière à l'improviste et de l'obliger à dire ce qu'elle cache. »
Jean Cocteau